LA BETTE ET LA B�TE - UNE APORIE DU R�ALISME
Fran�ois RASTIER
C.N.R.S.
(Texte paru dans Hamon, Ph. & Leduc-Adine, J.-P. (�d.), Mimesis et Semiosis. Litt�rature et repr�sentation, Paris, Nathan, 1992, p. 205-217.)
SOMMAIRE
1. Les conditions s�mantiques de la
repr�sentation
2. La Bette
3. O� le doute s��paissit
Quand Buffon peignait le lion, il achevait la lionne en quelques phrases; tandis que dans la Soci�t� la femme ne se trouve pas toujours �tre la femelle du m�le. |
Balzac, avant-propos � La Com�die humaine
Toute r�flexion sur le roman impose un retour sur l��nigmatique cat�gorie du r�alisme. Nous amorcerons ici un tel retour en prenant pour exemple, ou pour pr�texte, La Cousine Bette. La notion de r�alisme compte parmi les plus probl�matiques de la tradition esth�tique occidentale. Elle subordonne en effet, en derni�re analyse, la beaut� � la v�rit�. Cette v�rit� est con�ue, classiquement, comme une repr�sentation ad�quate du r�el (empirique ou transcendant). Elle engage donc, pour la litt�rature, le rapport du texte � une r�alit� qu�il est cens� d�peindre.
L�unit� du texte reposerait alors en derni�re analyse sur l�unit� ontologique de cette r�alit�. Mais s�il para�t repr�senter des r�alit�s h�t�rog�nes, comme c�est le cas dans bien des fictions, et g�n�ralement dans les textes mythiques, comment appr�cier sa pr�tendue v�rit� ? On peut certes postuler une r�alit� dominante, refl�t�e par un pr�tendu sens litt�ral, et d�clarer figur�s les autres sens. Mais la distinction entre litt�ral et figur�, par son inconsistance m�me, demeure un des obstacles �pist�mologiques principaux pour les sciences du langage. Elle s�appuie cependant sur la longue tradition de l�all�gorisme paulinien, et permet encore aujourd�hui de tracer le d�part entre s�mantique v�riconditionnelle et pragmatique.
Les conditions s�mantiques de la
repr�sentation
La notion de r�alisme repose en outre sur la conception aristot�licienne du signe comme entit� renvoyant � un objet par la m�diation d�une repr�sentation. Son signifi� se d�finit donc par rapport � un r�f�rent.
Hors de ce paradigme symbolique traditionnel, le probl�me de la r�f�rence se r�duit pour nous � celui de l�impression r�f�rentielle - qui n�est pas une illusion car elle est faite d�images mentales (et ce, quoi qu�en aient dit Barthes et Riffaterre, qui reformulent sans qu�il y paraisse la p�joration platonicienne qui frappe la repr�sentation artistique; ainsi Riffaterre souligne son caract�re erron� : � L�illusion r�f�rentielle substitue � tort la r�alit� � sa repr�sentation � mais conclut sereinement � Nous ne pouvons cependant nous contenter de corriger l�erreur et d�en ignorer les effets, car cette illusion fait partie du ph�nom�ne litt�raire, comme illusion du lecteur � in Litt�rature et r�alit�, Seuil, 1982, p.93).
L��tude de l�impression r�f�rentielle engage la linguistique, dans ses rapports avec la psychologie cognitive (qui a accumul� ces dix derni�res ann�es de riches donn�es exp�rimentales) et la neuropsychologie (qui confirme l�activation du cortex visuel apr�s consignes d�imagerie). Bien qu�un signifi� ne se confonde pas avec une repr�sentation, tout texte impose des contraintes sur la formation des images mentales, notamment par ses structures s�mantiques. Ces contraintes sont d�pendantes des r�gimes discursifs (litt�raire, scientifique, religieux, etc.) et des pactes qui r�gissent l�interpr�tation des genres textuels au sein des pratiques sociales. Pour une s�mantique descriptive, le probl�me se d�taille ainsi � quelles conditions un texte peut-il renvoyer (1) � un monde factuel, (2) � nul monde, (3) � un monde contrefactuel, (4) � plus d�un monde ?
La th�orie des isotopies g�n�riques permet de sp�cifier ces conditions. Pour notre propos, certaines de ces isotopies m�ritent une attention particuli�re, car elles d�terminent l�impression r�f�rentielle de l��nonc�. Ce sont les isotopies g�n�riques qui indexent les s�m�mes et s�mies appartenant � un m�me domaine s�mantique (techniquement, il s�agit des isotopies m�sog�n�riques, constitu�es par la r�currence de s�m�mes appartenant au m�me domaine s�mantique. Nos langues comptent trois � quatre cents domaines, dont les indicateurs lexicographiques comme mar. ou cuis. donnent une premi�re approximation).
Les domaines s�mantiques sont des classes lexicales de grande taille qui comprennent les s�m�mes mis en jeu dans une pratique sociale d�termin�e. Quatre cas remarquables se pr�sentent, que nous illustrons par des �nonc�s, mais qui pourraient l��tre par des textes entiers.
(1) Plusieurs s�m�mes ou s�mies sont index�s dans un et un seul domaine; aucun autre n�est contradictoire avec ce domaine. Exemple : Sans virer de bord, et par vent arri�re, le catamaran d��ric Loiseau a gagn� la transat. L��nonc� induit alors une impression r�f�rentielle univoque. Ce type d��nonc�, quelle que soit par ailleurs sa v�ridicit�, fait le fond des textes techniques et scientifiques; en d�autres termes, il est caract�ristique des textes pratiques. Pour une s�mantique qui, dans la tradition saussurienne, s�est s�par�e de la philosophie du langage et lui a abandonn� le probl�me de la r�f�rence, le probl�me de la repr�sentation de la r�alit� devient celui de l�impression r�f�rentielle univoque. Une telle impression est induite par une isotopie g�n�rique exclusive.
(2) Aucune isotopie g�n�rique ne peut �tre construite. Exemple : Le zirconium carguait les polyptotes. L��nonc� ne suscite pas d�impression r�f�rentielle. Les �nonc�s de ce type pullulent dans les soties, jusqu�au dada�sme inclus.
(3) L��nonc� pr�sente une isotopie g�n�rique, mais des isotopies obligatoires (ou contraintes de s�lection) n�y sont pas respect�es. Exemple : Le train disparu, la gare part en riant � la recherche du voyageur (Ren� Char). L��nonc� de ce type para�t r�f�rer � un monde contrefactuel. Il est tr�s fr�quent dans les textes merveilleux.
(4) L��nonc� pr�sente deux ou plus de deux isotopies g�n�riques entrelac�es. Prenons pour exemple le second vers de Zone d�Apollinaire : Berg�re � tour Eiffel le troupeau des ponts b�le ce matin. Parce que plusieurs s�m�mes sont index�s alternativement dans les domaines //ville// et //campagne//, l��nonc� induit une impression r�f�rentielle complexe. Les �nonc�s de ce type sont ordinaires dans les textes mythiques, notamment religieux ou po�tiques. De par leur structure s�mantique, ils paraissent renvoyer � plus d�un monde.
La typologie s�mantique que nous r�sumons ici fonde � nos yeux la typologie logique des propositions, dans la mesure o� elle en pr�cise les conditions logiquement, le premier type d��nonc� est d�cidable (et comme tel susceptible d��tre av�r� ou infirm�); le second est logiquement absurde (et � tout le moins ind�cidable) le troisi�me reste d�cidable, mais faux ; le quatri�me reste ind�cidable.
Au palier textuel, il faut cependant distinguer entre les textes poly-isotopes qui pr�sentent une isotopie g�n�rique dominante, et ceux o� une telle dominance n�est pas �tablie. En outre, il faut tenir compte des hi�rarchies �valuatives entre isotopies.
Il reste que bon nombre de textes r�put�s r�alistes, et notamment des romans, pr�sentent une isotopie g�n�rique dominante (ou un faisceau d�isotopies g�n�riques dominantes), ce qui les rapproche des textes pratiques; mais cette domination ne doit pas masquer les isotopies domin�es, car la poly-isotopie est caract�ristique des textes mythiques.
Balzac passe pour un parangon du r�alisme : il pr�tendait � amasser � des faits et � les peindre comme ils sont �. Il nous a paru opportun d�examiner cette id�e re�ue, � la lumi�re des connaissances acquises sur les isotopies g�n�riques. Nous prendrons pour exemple un d�doublement d�isotopies g�n�riques dans La Cousine Bette. � Peu de romans, �crit Pierre Citron, sont aussi enracin�s dans la r�alit� � (pr�face � l��dition du Seuil, 1966, t. V, p. 9). Et Pierre Barb�ris y voit notamment � le tableau d�un moment de l�histoire moderne � (pr�face � l��dition Folio-Gallimard, 1972, p. 16). Des doutes cependant vont s��paissir sur la nature de cette r�alit�, au vu des � personnages � (nous choisissons d��tudier en premier lieu les personnages, car ils sont consid�r�s comme un lieu privil�gi� de la repr�sentation r�aliste. Ainsi, Auerbach par exemple estime (dans Mim�sis , Gallimard, 1968, p. 549) que Balzac prit � des individus quelconques de la vie quotidienne, saisis dans la contingence des �v�nements historiques, pour en faire l�objet d�une repr�sentation s�rieuse, probl�matique, et m�me tragique �).
1. Si le personnage �ponyme du roman r�pond au diminutif de
Bette, cette aph�r�se fait dresser l�oreille, quand on lit que
des malheurs de famille dompt�rent la Bette �, et qu�elle
aper�ut alors � le licou de la domesticit� � (9). Ces
interpr�tants incitent sinon autorisent, voire imposent la
r��criture de Bette en B�te.
De quel animal s�agit-il donc ? La premi�re description qui
la pr�sente est riche d�enseignements. Ne porte-t-elle pas �
une robe de m�rinos � et � des souliers en peau de ch�vre �
(1) ? Il y a du caprin et de l�ovin dans cette tenue. Elle
reconna�t d�ailleurs : � Il faut qu�une vieille bique comme
moi ait quelque petite chose � aimer � (11). En outre, le
baron Hulot la salue d�un � Bonjour la Ch�vre � (12). Devenue
dame de compagnie et femme de charge de la dangereuse Mme
Marneffe, elle disait : � Apr�s avoir commenc� la vie en vraie
ch�vre affam�e, je la finis en lionne � (40).
N.B. : Ce vraie est naturellement �quivoque. Depuis les premiers travaux de Lakoff (1972), sur les enclosures, on a beaucoup discut� de cette sorte de mots qui suspendent les contradictions (cf. La femme du boulanger est une vraie vieille fille), sans douta parce qu�ils imposent des dissimilations d�univers. Mais les th�ories de l�appartenance floue restent entach�es du logicisme qu�elles entendent contester.
Bref, � l�acteur humain Bette correspondrait une ch�vre sur l�isotopie animale. Soit, mais qu�en est-il de la � lionne � ? Dans ce contexte favorisant, les deux acceptions (� �l�gante � et � f�line �) peuvent �tre maintenues. Cependant un doute s��l�ve. Soit le r�cit a op�r� une transformation de la ch�vre en lionne, et elle passe ainsi du camp des victimes dans celui des pr�dateurs. Soit Lisbeth ne correspondait � une ch�vre que dans l�univers de certains acteurs, ceux de sa famille, mais � une lionne dans l�univers de r�f�rence, que partagent le narrateur et d�autres acteurs : � l�inexplicable sauvagerie de cette fille lui m�ritait le surnom de Ch�vre que le baron lui donnait en riant. Mais ce surnom ne r�pondait qu�aux bizarreries de la surface, � ces variations que nous offrons tous les uns aux autres en �tat de soci�t� � (9). Les deux termes de cette alternative ne s�excluent pas cependant, car ici la transformation (au plan dialectique) se redouble d�une r�v�lation (au plan dialogique).
Mais cette lionne n�est-elle pas plut�t un tigre ? � Qui vous a dit qu�elle [Hortense] �tait jolie ? demanda vivement Lisbeth [� Steinbock] avec un accent o� rugissait une jalousie de tigre � (18); � ses yeux noirs et p�n�trants avaient la fixit� de ceux des tigres � (26). Elle est au demeurant � d�une m�le et s�che nature � (40), et ce tigre pourrait bien �tre un m�le; cependant, Val�rie Marneffe l�appelle � ma tigresse � (53).
Sur l�isotopie humaine, un doute plane sur le sexe de la cousine : du moins, � elle poss�dait des qualit�s d�homme � (9) ; et � Lisbeth et Val�rie offraient le touchant spectacle d�une de ces amiti�s si peu probables entre femmes, que les Parisiens, toujours trop spirituels, les calomni�rent aussit�t. Le contraste entre la m�le et s�che nature de la Lorraine avec la jolie nature cr�ole de Val�rie servit la calomnie � (40); le narrateur va assez loin pour l��poque : � Elle adorait d�ailleurs Val�rie, elle en avait fait sa fille, son amie, son amour. Elle trouvait en elle l�ob�issance des cr�oles, la mollesse de la voluptueuse � (41). Pourquoi cette ambigu�t� n�aurait-elle pas un corr�lat sur l�isotopie animale ?
Convenons pour l�instant que la Bette est un fauve sur l�isotopie animale de l�univers de r�f�rence. En ce cas, sa robe de m�rinos et ses souliers de peau de ch�vre ne sont qu�un travestissement initial, qui trahissent la figure bien connue du lion d�guis� en agneau. Si l�on se contentait d�y voir des e d�tails inutiles n dont la seule fonction, selon Barthes, serait de connoter le r�el, il serait inutile de chercher plus avant.
N.B. : Barthes para�t nuanc�, encadre de notes et de guillemets des expressions comme � notation insignifiante � (R. Barthes, in Litt�rature et r�alit�, Seuil, 1982, p. 82), � d�tail inutile � (p. 83), � d�tail concret � (p. 88). Plus dogmatique qu�il n�y para�t, sa th�se se r�sume � ceci : les d�tails qui paraissent contingents ont dans le roman r�put� r�aliste la fonction de para�tre d�noter le r�el, mais en r�alit� de le connoter. Ainsi, supprim� de l��nonciation r�aliste � titre de signifi� de d�notation, le � r�el � y revient � titre de signifi� de connotation ; car dans le moment m�me o� ces d�tails sont r�put�s d�noter directement le r�el, ils ne font rien d�autre, sans le dire, que le signifier [�] autrement dit, la carence m�me du signifi� au profit du seul r�f�rent devient le signifiant m�me du r�alisme ; il se produit un effet de r�el � (p. 89). Mais l�inutilit� des d�tails n�est visible que relativement � l�analyse fonctionnelle : � Les r�sidus irr�ductibles de l�analyse fonctionnelle ont ceci de commun, de d�noter ce qu�on appelle couramment le �r�el concret� (menus gestes, attitudes transitoires, objets insignifiants, paroles redondantes) � (p. 86). Cependant l�analyse fonctionnelle (Barthes entend par l� l�analyse structurale des r�cits) ne peut d�crire que partiellement un texte, et cr�e une foule de r�sidus qui sont autant d�artefacts. Une analyse moins rudimentaire peut reconna�tre des fonctions � ces pr�tendus r�sidus. Enfin pourquoi un �l�ment ne devrait-il avoir qu�une fonction ?
Le ch�le de cachemire jaune de la Bette fait le lien entre sa tenue de Ch�vre que et sa tenue de Lionne. Elle le portait avant le chapitre 28 intitul� � Transformation de la Bette � et le conserve apr�s � Cette singuli�re fille, maintenant soumise au corset, faisait fine taille, consommait de la bandoline pour sa chevelure lisse, acceptait ses robes telles que les livrait sa couturi�re [�]. Ainsi restaur�e, toujours en cachemire jaune, Bette e�t �t� m�connaissable � qui l�e�t revue apr�s Ces trois ann�es � (40). Or ce ch�le tient de l�agneau par sa mati�re, et du lion par sa couleur. Cf. e. g. les descriptions de la lionne dans Une passion dans le d�sert (5). Ce ch�le redouble sa complexit� th�matique par la richesse de ses r�les dialectiques. D�abord poss�d� par la baronne Hulot, puis par sa fille Hortense, il est convoit� par la Bette, qui l�obtient en �change de r�v�lations sur l�objet de sa passion, le comte Steinbock. Ces r�v�lations conduiront au mariage de Steinbock et d�Hortense.
Voil�, objectera-t-on, des indices bien t�nus. Mais ne lit-on pas, quelques pages apr�s � Les femmes persuadent toujours aux hommes de qui elles ont fait des moutons qu�ils sont des lions � (43) ?
2. Le chapitre 11, o� la Bette se rev�t du ch�le, s�intitule � Entre vieille et jeune fille �. Il introduit �videmment un parall�le entre Hortense et la Cousine. il est redoubl� sur l�isotopie animale au chapitre suivant, quand le baron Hulot les salue ainsi : � Bonjour la Ch�vre, bonjour Chevrette ! �.
3. � Qui peut aimer une vieille ch�vre ? � avait demand� la cousine Bette. � Ce doit �tre un monstre de vieil employ� � la barbe de bouc ? � avait sugg�r� Hortense (10). Elles rivaliseront bient�t aupr�s du m�me homme, le comte Steinbock. Ce nom signifie bouquetin en allemand, traduction qui n�a rien d�un fantasme ex�g�tique, car la Bette elle-m�me la donne � Hortense, non d�ailleurs sans quelque approximation : � Il m�a dit que Steinbock signifiait en allemand animal des rochers ou chamois. Il compte ainsi signer ses ouvrages... Ah! j�aurai ton ch�le � (11).
N.B. : On voit qu�une zoologie sourcilleuse ne trouverait pas son compte dans ce bestiaire. On confirme aussi que l�existence du comte et sa passion pour lui sont r�v�l�es � Hortense / la Chevrette sur l�isotopie humaine et simultan�ment sur l�isotopie animale elle �prouve un saisissement passionn� au vu d�un groupe sculpt� que lui pr�sente la Bette, et qui repr�sente les Vertus th�ologales. Il est sign� de l�initiale de Wenceslas, et du dessin d�un chamois : la lettre renvoie � l�isotopie humaine, et le dessin � l�isotopie animale.
En Europe, le chamois se rencontre surtout dans les Alpes. Or, � Wenceslas Steinbock �tait sur une route aride parcourue par ces grands hommes, et qui m�ne aux Alpes de la Gloire �. Il y va � v�tu d�un pardessus d��t� en m�rinos noir � (21).
Une premi�re version du drame se dessine ainsi sur l�isotopie animale : la ch�vre dispute � la chevrette les faveurs du chamois.
4. Or, la Bette se vengea en pr�cipitant le comte Steinbock dans les bras de Mme Marneffe. Sur l�isotopie animale, celle-ci para�t bien �tre une chatte. Du moins appelle-t-elle son mari mon chat (cf. ch. 15 et 49), son amant de coeur mon petit chat (47), et l�amant qui paye mon pauvre chat ou mon bon chat (103). Le narrateur souligne qu�elle e avait la nonchalance des chattes � (27), et qu�elle attache ses amants par ses � chatteries � (79). En somme, la lionne laisse le chamois en p�ture � la chatte. � cette pr�dation contre nature correspond un adult�re sur l�isotopie humaine.
N.B. : En fait, Mme Marneffe est elle aussi une lionne sur � l��tre � de l�isotopie animale, bien que le narrateur la d�crive comme une chatte. Mais c�est la seule lionne mari�e, et elle prend donc l�apparence d�un f�lin domestique. En l�esp�ce, la chatte est � la lionne comme la petite-bourgeoise est � la courtisane. Cette proportion souligne que l�isotopie humaine comme l�isotopie animale sont d�doubl�es ici par des modalisations diff�rentes, qui d�pendent des univers d�assomption des acteurs et du narrateur repr�sent� : en apparence Val�rie est une petite-bourgeoise et une chatte, en r�alit� une courtisane et une lionne. Le d�doublement th�matique est ainsi corr�l� � un d�doublement dialogique.
5. L�instrument du destin, le baron Henri Mont�s de Mont�janos, vengera Hortense et sa m�re en tuant Val�rie Marneffe par jalousie. Ce Br�silien correspond sur l�isotopie animale � un jaguar du moins ses yeux sont-ils � fauves � faire croire que la m�re du baron avait eu peur, �tant grosse de lui, de quelque jaguar � (45). Et Val�rie l�appelle � mon beau jaguar sorti pour moi des for�ts vierges du Br�sil � (47; cf. aussi: � je n�aimerai jamais que mon jaguar �, 53). � l�occasion, � tigre � ou ou � lion � lui conviennent aussi. Val�rie lui dit e �coute, Henri, tu es le seul homme aim� de moi dans l�univers, �cris cela sur ton cr�ne de tigre. Les femmes persuadent toujours les hommes dont ils ont fait des moutons qu�ils sont des lions � (47). Le narrateur rench�rit : � Le baron Mont�s de Mont�janos �tait un lion e (113), et le d�crit � m�tamorphos� en tigre � (116). Cette multiplication des fauves ne doit inqui�ter personne ; chacun lexicalise � son tour un trait s�mantique saillant de l�acteur : /sud-am�ricain/ pour �jaguar�, /jaloux/ pour �tigre�, /courageux/ pour �lion� (comme il est de r�gle, cette saillance est li�e � la phras�ologie, c�est-�-dire � de la doxa en voie de lexicalisation jaloux comme un tigre, courageux comme un lion, etc.). La lexicalisation privil�gi�e, car la plus synth�tique, la plus sp�cifique, et la plus fr�quente peut �tre appel�e parangon , les autres substituts .
Notons enfin (par parenth�se, car nous n�avons pas la place de pr�senter une analyse de la composante dialectique) le parall�le inverse qui s��tablit entre la Bette et le baron br�silien : la ch�vre devenue lionne est l�instrument du Mal, le lion devenu mouton est celui du Bien. Tous deux rivalisent pour conserver les faveurs de la chatte, Mme Marneffe.
6. Le baron Hulot, pour sa part, est un oiseau, sans doute un rapace nocturne, comme il convient � un mari d�coucheur qui aime la chair fra�che. De Hulot � hulotte , il n�y a pas loin, surtout quand on sait que Balzac a d�abord cr�� ce nom dans Les Chouans, pour le fr�re du baron, qui r�appara�t ici. Au d�but du roman, notre baron s�est amourach� de la cantatrice Jos�pha, � une fauvette qui lui co�te deux cents mille francs par an � (5), et qui, selon Crevel, � l�a plum� net, oh! plum� � (3). Cette fauvette , comme on s�en doute, est aussi une jeune lionne : quand la baronne lui rend visite, elle s�attend � voir � une vraie lionne � (104). Puis il installe Val�rie rue Vanneau (24), et quand il obtient ses faveurs exorbitantes, il est � gai comme un pinson � (43). Lui-m�me habite rue Plumet (79); et Crevel insiste lourdement devant la baronne qui lui demande deux cents mille francs :e vous vivez par trop, mon Adeline, rue Plumet! � (88). Bref, Hulot a �t� plum� comme un dindon, selon Jos�pha, qui lui dit : � Les farceuses [les femmes du monde] s�entendent mieux que nous � la plumaison du dinde! � (sic, 98).
Elle lui donne les moyens de se cacher pour �chapper aux poursuites, en lui disant: � tu seras heureux comme un coq en p�te � (99). Il se met en m�nage, entre autres, avec une �lodie Chardin, dont le p�re fait des poules : � Le vieux p�re Chardin il fait les poules... - Comment [demande Jos�pha] il fait les poules... c�est un fier coq! - Vous ne comprenez pas, Madame, c�est la poule au billard � (105). On conviendra qu�il y a de la poule dans cette �lodie, qui n�est d�ailleurs pas insensible � l�argent. En somme, le hibou, plum� par la fauvette, se d�guise en coq pour aller vivre avec une poule.
Puis il se d�guisera en chat pour aller vivre, sous un nouveau pseudonyme anagrammatique, avec une jeune chatte; ainsi, Atala Judici, quinze ans, l�appelle mon gros chat, lui ma petite chatte (127), et la baronne lui dit : � Tu t�es mari�e comme les b�tes s�accouplent � (ibid.). On pouvait pr�voir cet ultime d�guisement quand Jos�pha appelait le baron mon vieux chat teint (12) - car ce sexag�naire usait de certains artifices cosm�tiques).
� chaque d�guisement sur l�isotopie animale correspond en outre un changement de pseudonyme sur l�isotopie humaine.
7. Crevel, rival de Hulot aupr�s de Jos�pha, puis de Val�rie, n�est, selon cette derni�re, qu�un � vieux rat � (51). Jos�pha rench�rit : � Crevel est un rat! � (98). Toutefois, pendant que le hibou se cachait, ce rat cajolait la chatte; et sur l�isotopie humaine, Crevel s�appr�tait � �pouser Val�rie.
8. Pour sa part, le baron Hulot avait en Adeline �pous� une colombe : � Elle exprimait toute la grandeur de son infortune et celle de l��glise catholique o� elle se r�fugiait par un vol de colombe bless�e � (89).
9. Leur fils, Victorin, est compar� � un perroquet (111).
10. La Sainte-Est�ve, alias mame Nourrisson et sans doute la tante de Vautrin, vient lui proposer de tuer Val�rie. Elle fera commettre ce crime salvateur avec un poison animal (115). Le baron Mont�s, qui l�inoculera, l�appelle vieille autruche ou l�autruche , � frapp� par les plumes que la Nourrisson avait sur son chapeau � (115). Bref, l�autruche vient proposer au perroquet (fils du hibou et de la colombe) de faire tuer la chatte par le jaguar.
Elle compare en outre � une souris cette chatte prise au pi�ge : � il y a des boulettes dans la rati�re, je vous dirai demain si la souris s�empoisonnera �; rien de surprenant, puisque Val�rie la chatte est en passe d��pouser Crevel le rat, et change ainsi de nom, m�me sur l�isotopie animale, en devenant souris.
On pourrait sourire devant ce bestiaire, ou s�indigner de notre insistance maligne. Apr�s tout, la comparaison des hommes avec des animaux reste des plus banales, comme en t�moigne la phras�ologie.
Mais n�oublions pas qu�elle a suscit�, selon Balzac, le projet m�me de La Com�die humaine. Apr�s un �loge de Geoffroy Saint-Hilaire, il �crit dans son avant-propos : � La Soci�t� ne fait-elle pas de l�homme, suivant les milieux o� son action se d�ploie, autant d�hommes diff�rents qu�il y a de vari�t�s en zoologie ? Les diff�rences entre un soldat, un ouvrier, un administrateur, un avocat, un oisif, un savant, un homme d��tat, un po�te, un pauvre, un pr�tre, sont, quoique plus difficiles � saisir, aussi consid�rables que celles qui distinguent le loup, le lion, l��ne, le corbeau, le requin, le veau marin, la brebis, etc. � Balzac construit ainsi sa sociologie � l�image de la zoologie.
Pour aller plus loin dans l��tude que nous �bauchons ici, il faudrait pr�ciser les corr�lats que trouvent ces rudiments d�analyse th�matique dans la composante dialectique du texte (et construire les acteurs), comme dans sa composante dialogique (certains animaux ne sont pr�sents que dans l�univers de certains acteurs). Mais d�sormais se dessine sur l�isotopie animale une variation interne du r�cit. Il para�t difficile de la n�gliger sans pratiquer une lecture r�ductrice qui refuserait de prendre au mot le texte (en litt�rature, la lettre, c�est l�esprit.). Et, si l�on convient de la reconna�tre, on reconna�t par l� m�me les multiples connexions qui l�unissent indissolublement � l�isotopie humaine. Mais que devient alors le pr�tendu � tableau d�un moment de l�histoire moderne � ?
Nous n�avons donn� qu�un aper�u de l�isotopie animale dans ce roman. D�autres isotopies g�n�riques, presque aussi riches et insistantes pourraient ais�ment �tre construites, et notamment une isotopie m�taphysique, puisque ce bestiaire est aussi un pand�monium. Voici quelques indices parmi bien d�autres. La Bette � avait gliss� sa main crochue entre son bonnet et ses cheveux pour les empoigner et soutenir sa t�te, devenue trop lourde ; elle br�lait � (26); � elle e�t vendu son �me au diable � (31). Il y a du pied fourchu dans cette Ch�vre. Quant � la Sainte-Est�ve, � son nez �pat�, dont les narines agrandies en trous ovales soufflaient le feu de l�enfer, rappelait le bec des plus mauvais oiseaux de proie � (108) ; � Elle se dressa sur ses larges pieds contenus dans des souliers de satin [�] Le diable a une s�ur, dit Victorin � (ibid.).
Et avec plus de place, il faudrait s�interroger sur la hi�rarchie entre ces isotopies, sur leurs relations de dominance et d�accessibilit�, pour reconstituer les contraintes globales qu�elles imposent aux parcours interpr�tatifs.
Au reste, les ph�nom�nes que nous avons relev�s sont tout � fait ordinaires chez Balzac, comme dans la plupart des romans r�put�s r�alistes du si�cle pass�.
- Ou bien l�on n�glige ces ph�nom�nes, et l�on r�duit ces romans � leur isotopie humaine, pour pr�tendre qu�ils repr�sentent la soci�t� de leur temps, et justifier les �tudes lourdement sociologisantes qui s�entassent sur eux.
N.B. : On recherche le plus souvent, en affirmant le r�alisme de Balzac, des preuves contre la bourgeoisie louis-philipparde. Par exemple, quand Crevel dit : � Que voulez-vous, j�ai suc� le lait de la R�volution, je n�ai pas l�esprit du baron d�Holbach, mais j�ai sa force d��me. Je suis plus que jamais R�gence, mousquetaire gris, abb� Dubois, et mar�chal de Richelieu! sacrebleu! Ma pauvre femme, qui perd la t�te, vient de m�envoyer un homme � soutane, � moi, l�admirateur de B�ranger, l�ami de Lisette, l�enfant de Voltaire et de Rousseau �, il se trouve toujours un P. Barb�ris pour �crire : � Dans cette tirade, o� le maire de Paris m�le comme � plaisir, et d�une mani�re bien significative, le cynisme des rou�s � la pens�e des philosophes, on verrait ais�ment une preuve suppl�mentaire de la d�cadence de la bourgeoisie louis-philipparde, libre penseuse par libertinage plus que par conviction. Quoi qu�il en soit, ce texte prouve que sous Balzac la bourgeoisie n�avait pas encore r�alis� que la religion puisse �tre utilis�e comme sauvegarde sociale et ne voit encore aucun inconv�nient � laisser libre cours � son libertinage intellectuel � (Le Monde de Balzac, Arthaud, 1972, p. 317). Ce luxe de preuves n�est pas r�serv� � l��lite universitaire. Dans un opuscule scolaire, Pierre-Louis Rey, notant que � les ouvriers sont absents de la Com�die humaine �, trouve qu�ainsi elle � donne une image fid�le de cette soci�t� capitaliste naissante dans laquelle la nouvelle aristocratie (celle de l�argent) r�duit presque � n�ant les d�favoris�s � (P.-L. Rey, La Com�die humaine, Hatier, 1979, p. 18).
- Ou bien l�on admet qu�il s�agit de textes mythiques ordinaires, dont le caract�re pratique, l�apparence parfois documentaire, ne doit pas faire illusion. Ils ne repr�sentent pas plus - et pas moins - la soci�t� de leur temps que la Chrysolite de Mareschal ou la Carith�e de Gomberville.
En d�autres termes, les �l�ments socio-historiques objectifs ne sont pas le point de d�part de la repr�sentation, auxquels Balzac par exemple ajouterait �� et l� des m�taphores pour la styliser. La mati�re romanesque n�est pas un r�f�rent extralinguistique qui serait soumis apr�s repr�sentation � une �laboration artistique. Ne serait-elle pas faite, au plan s�mantique que nous �tudions, de la doxa d�j� pr�sente dans le lexique, la phras�ologie, les sch�mas narratifs, la topique, bref dans l�axiologie ? Loin de rehausser du r�el de quelques touches stylistiques, pour le rendre encore plus ou enfin vraisemblable, le roman dit r�aliste praticise du mythique.
Certes, ici, une isotopie humaine historiquement situ�e domine les autres par son �tendue et sa densit�. Mais ces crit�res quantitatifs ne sont pas seuls valides. En g�n�ral, les isotopies domin�es et peu denses disent � le vrai � sur l�isotopie la plus apparente (c�est particuli�rement clair par exemple chez Maupassant, o� l�isotopie animale d�termine toujours l�isotopie humaine). C�est l� une simple cons�quence de la fonction anagogique que notre tradition a toujours attribu�e � la litt�rature. Ainsi s��tablit une coh�sion bien plus grande qu�il n�y para�t entre les �tudes philosophiques et le reste de La Com�die humaine. S�raph�ta et La Cousine Bette rel�vent du m�me univers mythique. Plus g�n�ralement, les po�mes lyriques romantiques et les romans r�alistes bourgeois proc�dent de la m�me esth�tique. Ce qui les diff�rencie, pour ce qui concerne l�impression r�f�rentielle, c�est leur orientation m�taphorique et la valorisation de leurs isotopies d�terminantes m�me quand ils paraissent se d�rouler dans un monde humain, les uns peignent des anges, et les autres des b�tes (ces orientations m�taphoriques oppos�es traduisent s�mantiquement l�opposition entre r�alisme empirique et r�alisme transcendantal mais elles soulignent en m�me temps l�unit� de ces deux formes canoniques du r�alisme esth�tique et philosophique).
Si La Cousine Bette met en sc�ne all�grement des b�tes, c�est en derni�re analyse un roman satanique, qui pratique � sa mani�re ce que Kant appelait la repr�sentation sensible des Id�es morales. Et pourtant, on le classe volontiers comme r�aliste, sans s�inqui�ter de ces b�tes, sans doute parce qu�il a rapport avec les vices et l�image infernale de la mati�re. En revanche, on h�siterait � cataloguer ainsi S�raph�ta , qui se d�roule pour l�essentiel dans les sph�res �th�r�es des cieux.
Dans le Sophiste , Platon opposait d�j� la mim�sis eikastique (sorte d�imitation par copie d�un objet) et la mim�sis fantasmatique (imitation par copie d�un simulacre imaginaire), pour les condamner tour � tour. Cette distinction a eu une longue influence, et l�on admet volontiers � pr�sent que le roman r�aliste contient des �l�ments historiques, qui rel�veraient de la premi�re mim�sis, et des �l�ments imaginaires qui appartiendraient � la seconde. Mais comment distinguer les premiers des seconds? Sans entrer dans ce d�bat, ne gagnerions-nous pas aujourd�hui � nous priver du concept d�imitation, et de son succ�dan� moderne le r�alisme ? Empiriques ou transcendantales, toutes les formes du r�alisme sont �galement m�taphysiques. En outre, un nominalisme m�thodologique r�solu para�t indispensable si l�on veut f�d�rer les disciplines �parses qui traitent des langues et des textes.
C'est en effet un geste fondamental, pour les sciences sociales, d'affirmer l'autonomie relative de l'univers s�miotique, � l'�gard de l'univers physique, comme � l'�gard de l'univers des repr�sentations. Cette autonomie est rest�e inconcevable aussi longtemps que dominaient les th�ories r�alistes de la signification, et c'est sans doute leur d�passement par la linguistique qui lui a permis de se constituer en science, comme aujourd'hui de renouer avec les �tudes litt�raires, qui ont entrepris pour leur part un m�me effort de d�passement.
ANNEXES
Annexe 1 :
"Lisbeth Fischer, de cinq ans moins �g�e que Mme Hulot, et n�anmoins fille de l'a�n� des Fischer, �tait loin d'�tre belle comme sa cousine; aussi avait-elle �t� prodigieusement jalouse d'Adeline. La jalousie formait la base de ce caract�re plein d'excentricit�s, mot trouv� par les Anglais pour les folies non pas des petites, mais des grandes maisons. Paysanne des Vosges, dans toute l'extension du mot, maigre, brune, les cheveux d'un noir luisant, les sourcils �pais et r�unis par un bouquet, les bras longs et forts, les pieds �pais, quelques verrues dans sa face longue et simiesque, tel est le portrait concis de cette vierge."
Annexe 2:
(Extraits du D.O.L.F.) : LES PARENTS PAUVRES
Diptyque romanesque d�Honor� de Balzac (1799-1850), publi� �
Paris en feuilleton dans le Constitutionnel d�octobre �
d�cembre 1846 (La Cousine Bette), et de mars � mai 1847
(Le Cousin Pons), et en volume chez Chlendowski et
P�tion en 1847 et 1848.
Balzac avait d�j� abord� le th�me du parent pauvre dans
Pierrette. Fond� sur une sym�trie inverse, le pr�sent diptyque
oppose le triomphe de la m�chante Bette � la chute progressive
des excellents Pons et Schmucke. �crits dans une p�riode
difficile pour l�auteur, ces romans pessimistes, parmi les
plus noirs de la Com�die humaine, et �mis en pendant comme
deux jumeaux de sexe diff�rent�, sont plac�s sous les signes
d��ros et de Thanatos. La Cousine Bette connut un
succ�s �tourdissant, alors que Balzac, �puis�, doutait de sa
puissance cr�atrice. Difficilement commenc�, mais r�dig� pour
l�essentiel en quelques jours, le texte accumule tous les
�l�ments d�une vision sombre, fortement dramatis�e.
R�sum�
En 1799, Adeline Fischer, fille de paysans lorrains, a conquis le baron Hulot d�Ervy, qui l�a �pous�e avant de devenir un haut fonctionnaire de l�administration militaire. Par bont�, Adeline a fait venir � Paris en 1809 sa cousine Lisbeth, dite Bette. Cette parente pauvre est rong�e par l�envie. Elle reporte sa tendresse de vieille fille refoul�e sur Wenceslas Steinbock, Livonien exil� qu�elle a sauv� du suicide et qui vit en reclus chez elle. Or Wenceslas se fiance � Hortense, la fille d�Adeline. Nous sommes en 1838. Pour se venger, Bette s�me la zizanie dans le m�nage de Wenceslas, et encourage les d�bauches de Hulot avec l�exigeante Val�rie Marneffe, qu�elle lui a jet�e dans les bras. Hulot pille les caisses de l��tat et pr�cipite en 1841 la mort de son fr�re, mar�chal sans reproche, que Bette devait �pouser. Mieux encore, Bette a r�ussi � donner pour amants � Val�rie Wenceslas et Crevel, un commer�ant enrichi, qui repousse d�une mani�re offensante Adeline, venue s�offrir pour sauver son mari du d�shonneur. En 1843, une intrigue parall�le, aboutissant � leur mort affreuse, met en sc�ne Val�rie et Crevel. Ce dernier a �pous� Val�rie et d�sh�rit� sa fille C�lestine. Victorien Hulot, le mari de C�lestine, fait appel � Mme de Saint-Est�ve, une parente de Vautrin. Val�rie et Crevel meurent dans d�abominables souffrances, d�une l�pre myst�rieuse. Alors qu�Adeline retrouve Hulot, d�abord cach� avec l�ouvri�re Olympe Bijou, puis approvisionn� par Bette en ma�tresses, et le ram�ne au foyer, Bette meurt de tuberculose et de jalousie. Mais Hulot est de nouveau saisi par le vice et promet � une fille de cuisine de l��pouser sit�t son veuvage. Ce dernier coup ach�ve Adeline qui dispara�t en 1846. Hulot �pouse sa souillon et fait ainsi d�Agathe Piquetard une baronne.
Critique
Malgr� la complexit� de l�intrigue, le roman met avant tout en
sc�ne une catastrophe: la destruction de l�univers familial.
Car si les m�chants meurent, les bons ou les victimes
disparaissent �galement, et les passions du baron Hulot
entra�nent l�ensemble dans leur maelstr�m. � la fin de Bette,
de Crevel et de Val�rie, courtisane bourgeoise aux talents
dignes de ceux d�Esther (voir Splendeurs et Mis�res des
courtisanes), r�pond celle du mar�chal Hulot et d�Adeline.
Si la fiction privil�gie par son titre la monomanie vengeresse
de Bette, elle lui ajoute celle, sexuelle, du baron Hulot.
Outre les rapports �troits qu�elle entretient avec des
figures r�elles de la biographie balzacienne, Bette vaut
d�abord comme personnage investi d�une �nergie et d�une
volont� peu communes. V�ritable Vautrin femelle, puissance
mal�fique, Bette, plus encore que le bandit, ne peut exister
que par autrui. Elle jouit de la vie par Val�rie interpos�e,
et reste pour l�essentiel un parasite social. Elle se
diff�rencie ainsi de Hulot qui, faute de pouvoir s�employer au
service d�un �tat suffisamment ambitieux et engag� dans le
si�cle, applique son �nergie � la qu�te fr�n�tique des femmes.
Plus encore que celle de la passion haineuse, la force du
d�sir d�termine des actions aux cons�quences mortelles pour
l�ordre social, remettant en cause le mariage lui-m�me.
Domin�e par l�argent, la soci�t� du roman refl�te la mont�e
en puissance d�une nouvelle bourgeoisie commer�ante,
repr�sent�e par Crevel, calculateur cynique. Malgr� sa
dimension abominable, Bette est aussi une victime de cet
univers glac�. Parente pauvre, elle est marginalis�e par une
famille ais�e. La mal�diction moderne �crase des �tres
politiques incapables d�acc�der � la ma�trise de leur destin
(m�me l�artiste Steinbock ne peut cr�er). Fatalit� � l�oeuvre
dans un Paris une nouvelle fois explor� - en particulier
gr�ce aux p�r�grinations du baron Hulot -, l�exacerbation
des passions et des int�r�ts ali�ne des personnages qui
s�entre-d�truisent.
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